"Parmi les Saints (awliya'), il y a aussi les jeûneurs et les jeûneuses : qu'Allâh soit satisfait d'eux ! Il les prend en charge (tawalla) au moyen de l'abstinence qui leur donne en héritage une élévation auprès d'Allâh le Très-Haut à l'égard de toute chose dont le Droit divin leur a ordonné d'écarter leurs âmes et leurs membres, de manière obligatoire ou recommandée. Quant à la parole du Très-Haut adressée à cette catégorie "... ensuite, parachevez le jeûne jusqu'à la nuit" (Cor.2, 187), elle indique le terme ultime du temps de l'abstinence dans le monde visible ('alam ash-shahada), c'est-à-dire le "jour". En effet, la nuit est véritablement le symbole du mystère (ghayb).

Lorsqu'ils atteignent le degré correspondant au monde du mystère représenté par la nuit, l'abstinence n'a plus de raison d'être : qu'il s'agisse de l'âme ou des membres, elle s'applique uniquement à ce qui est interdit dans le monde visible. Le monde du mystère est pur Commandement : il ne s'accompagne d'aucune défense, d'où son nom de "monde du Commandement" ('âlam al-Amr). ll est aussi pur Intellect : ceux qui l'habitent ne sont pas soumis à l'interdiction que comporte l'astreinte, car ils sont dépourvus de passions. Ils sont tels qu'Allâh les décrit dans son Livre Incomparable ('aziz), lorsque Il les loue en disant : "Ils ne s'opposent pas à ce qu'Allâh leur commande et ils accomplissent ce qui leur est ordonné" (Cor. 66, 6) ; Il n'a mentionné ici aucune interdiction, car cela serait contraire à leur nature véritable. 
Lorsque l'homme jeûne et passe de sa condition individuelle (bashariyya) au règne de l'Intellect ('aql), cela signifie que son "jour" a été accompli jusqu'au bout et qu'il n'y a plus pour lui ni abstinence ni interdiction ; que, par son intellect, il a rejoint le monde du Commandement dont toutes les passions sont absentes, car il est lui-même pur Intellect. Considère ici sa parole -qu'Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix !- : "Lorsque la nuit s'avance par ici, que le jour s'en va par là et que le soleil s'est couché, en vérité le jeûneur a rompu son jeûne". Il faut comprendre en effet : "... et que le soleil a disparu du monde visible pour s'élever à l'horizon de son intellect, le jeûneur a rompu son jeûne", c'est-à-dire : il n'a plus à pratiquer l'abstinence, et la prohibition n'a plus de sens pour lui (irtafa'a) car son intellect ne se nourrit aucunement de ce dont Dieu lui a ordonné de s'abstenir et qui correspond à la satisfaction de sa nature individuelle.

Sache-le donc : lorsqu'il atteint ce degré, l'"exaltation" (rif'a) divine le libère du pouvoir de sa nature individuelle tout comme la Théophanie le libère de sa réflexion (fikr) car celle-ci est elle-même soumise au pouvoir de sa nature élémentaire et individuelle ; c'est pourquoi l'Ange ne "réfléchit" pas. Si l'homme est doué de faculté réflexive, c'est parce qu'il est composé à la fois d'une nature élémentaire et d'un intellect. Or, I'Intellect est lui-même un support théophanique; il échappe (irtafa'a) à la bassesse de la réflexion naturelle alors que cette dernière a pour compagne l'imagination qui se nourrit de sensations en provenance du monde sensible. Le poète a dit : Lorsque le serviteur s'abstient de tout autre que Lui, le jour "jeûne" et s'éloigne, c'est-à-dire qu'il s'élève et atteint son zénith (irtafa'a). Celui qui, par son abstinence, n'atteint pas cette exaltation n'est pas ce jeûneur que nous requérons, celui que nous appelons de ce nom : ce jeûne est, en effet, celui des Connaissant s par Allah, qui sont les Gens d'Allah."

 

Futûhât, chap.73, partie initiale

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